Crèche archétype fondamental

En bon biffin, j'ai plusieurs crèches, ce qui me permet de varier au fil des années. L'intime, la vraie, je l'ai mise sur FB, mais cette année ,vicelard, j'en ai fait deux ; et il se pourrait que j'en fasse trois, ou plus... J'ai une crèche spéciale qui peut être utilisée indifféremment pour l'avent et la fuite en Égypte, avec Marie à dos d'âne. Cet animal en lui même est un symbole à plusieurs niveau de lecture, mais c'était d'abord le compagnon des gens du peuple pas trop misérables pour vivre d'autre chose que de la mangave. J'ai aussi des crèches avec bergers et moutons. Les moutons étaient le cheptel des pasteurs de toute la contrée comme dans tous le pourtour circumméditerranéen d'ailleurs. J'ai toujours été étonné, par contre, qu'on n'y trouve pas de chèvres, dans les évangiles et même dans la Bible en général. Pourtant de la Grèce jusqu'au Maroc et de ce coté ci de la méditerranée, elle était omniprésente la chèvre. La crèche, tradition et pomme de discorde qu'on prétends inventée par Saint François mais qui, à mon avis, doit remonter plus loin puisque il était coutume de jouer les scènes des évangiles en théâtre sur les parvis et dans les églises, voire les châteaux,pour en transmettre l'essentiel à une population quasi illettrée dans son ensemble. Lire et écrire étaient des sciences difficiles en ce temps là ; des arts à part entière. On pouvait savoir lire et ne pas savoir écrire par exemple, mais aussi savoir recopier un texte sans vraiment le comprendre.

L'écriture s'apparentait à du dessin, et, conscient de la difficulté de comprendre le texte, on l'illustrait d'images qui nous apparaissent aujourd'hui comme de la décoration alors qu'il s'agit d'illustrations pédagogiques. Voir les livres d'heures (Jeanne de France, ou Duc de Berry/ex). Toujours est-il que la nativité, sans avoir pris le rôle central qu'avait (et a toujours ) Pâques dans le christianisme ⁽¹⁾, était évoquée parce qu’elle illustre une des valeurs fondamentale transculturelle et millénaire que sont celles de la famille qui étaient familières à tous. La famille polygame, dans le monde gréco-romain n'était pas de mise quant au monde arabo-sémite elle était surtout affaire de possédants qui entretenaient un rapport à la femme de propriétaire à sujet plus que de compagnon-compagne. Mais au delà de cela que voit-on dans une « Crèche » ? D'abord que c'est jamais qu'un bâtiment agricole, peut-être troglodyte ; c'était commun un peu partout dans le monde que de récupérer les cavités naturelles pas trop profondes pour en faire des abris pour le bétail. J'en ai vu en service il y a quelques décennies ; ça existait encore. Qu'un loupiot qui naît dans un patelin de cambrousse attire tout ce qui travaille alentour, quoi de plus naturel ? Village de bergers, ça attire des bergers, normal. Un moussaillon qui naît en pleine nuit dans une pièce à peine salubre ça existait encore y'a pas longtemps : mézigue, exemple flagrant. Loger des voyageurs en périphérie, des travailleurs dans la grange, ça existait même chez nous y'a pas si longtemps. Des saisonniers dans les dépendances ? Mais mes zoziaux, je l'ai vécu, oui, ma pomme ! Et pas qu'en tant que saisonnier agricole que j'ai pratiqué une période ; en tant qu'ouvrier en déplacement il y a exactement 38 ans, à une semaine près. Le patron palpait le prix d'une chambre d'hôtel et moi on me carrait dans une dépendance sans chauffage, par un froid glacial, et démerde toi ! Plus tard on a l'épisode des mages... A mon sens les choses ne se produisent pas simultanément, d'ailleurs les évangiles ne les relatent pas ensembles. La visite de ce qu'il faut bien comprendre comme des astrologues en voyage ; et sans doute de religion mazdéenne ou zoroastrienne, qui incluait dans sa pratique la magie, l'astrologie, voire la nécromancie ; n'est pas plus surprenante. Qu'un village vivant chichement de ses moutons et pas grand chose d'autre soit étape sur une route caravanière, fusse-t-elle secondaire, ne me surprends pas plus que ça. Le rôle d'un prêtre, n'importe la religion, est toujours de bénir la maison qui l'accueille ; donc le nouveau-né s'il y en a un. Qu'ils eussent été « rois » n'est pas non plus invraisemblable. Pour être « mage » il fallait avoir du pognon ; donc soit être entretenu par un prince, un roi, soit être roi soi-même. Dans tout l'Orient, du côté des pays Perses et Arabes, les micro royaumes étaient légion. Même au temps de Mahomet en Arabie, la Mecque à elle seule en comptait plusieurs !! Situation que le prophète des musulmans s'efforça de résoudre pour créer un peu plus d'unité et de cohérence à une situation impossible et ingérable. Alors rois-mages pourquoi pas ? Faire des présents symboliques et à portée liturgique, vu la nature des personnages, est aussi naturel.

Ça c'est pour le contexte. Je me penche aussi sur l'ambiance et c'est là que je commence à rigoler des guignols qui se revendiquent de « racines chrétiennes » et identitaires pour professer l'exclusion.
Que vois-t-on fraterniser dans une « Crèche » ? Des bergers, souvent de pauvres gens employés par des plus riches et donc pas nécessairement indigènes ou en tous cas locaux ; un couple sémite, plus ou moins en butte à la société pourtant sémite de leur entourage, contraints à un voyage forcé et traqué par un mégalomaniaque, et enfin ces « mages » que les « identitaires » qualifieraient aujourd’hui de « bougnoules »... La Crèche c'est donc d'abord et avant tout l'illustration de la fraternisation autour d'une naissance d'une société multiculturelle entre ses différentes composantes ? C'est la rencontre multi-ethnique et le partage. Qu'en avez vous fait ?

On butera ensuite sur la date, que même les chrétiens les plus radicaux pensent symbolique de toute façon... Est-elle si symbolique ? On la prétends empruntée au paganisme, en oubliant que le paganisme était protéiforme et usait de calendriers multiples. Le notre a été unifié y'a pas si longtemps... On la prétends empruntée au mithraïsme... C'est le plus mauvais choix d'explication pour démolir l'histoire, mais les bœufs gobent... Les adorateurs de Mythra étaient une secte restreinte au sein du monde romain. On pourrait comparer ça à notre F . : M. : ; ce qui n'a rien d'un culte populaire menaçant une religion à vocation universelle dès lors qu'ils n'ont pas toutes les ficelles.
Ceci dit, c'est vrai : la « Crèche » c'est d'abord une imagerie symbolique, et à travers elle un conte vivant. L’œuvre de Jésus ne découle pas directement de la nativité. C'est un épisode prologue en somme. Il peut être produit en représentation symbolique, imagière ou théâtrale au même titre que l'Odyssée d'Homère, le Tartuffe de Molière ou n'importe quel épisode antique.

Ceux qui prétendent interdire les crèches, et particulièrement les crèches vivantes vont-ils interdire toutes les scènes de théâtre ancien où la religion est bien plus présente et explicite ? Allez vous faire censurer tous les films évoquant la vie de Jésus ? Et ceux évoquant Jeanne D'Arc pourquoi pas ?

Elle a été reconnue sainte après tout, et vu les miracles et autres visions dont sa vie est entachée, forcément bien plus religieuse que la naissance d'un bambin dans un bâtiment agricole !
Il n'y a plus beaucoup de joli contes dans les manifestations publiques, alors qu'on nous laisse au moins celle là. On vous tolère bien l'avatar d'Odin, j'ai nommé le Père Noël. Un sacré glissement de sens là encore.

Noël est glissé doucement d'une étoile à Bethléem à l'Ultima Thulée avant de se décomposer dans la consommation pour finir en déchets lamentables gaspillés dans les poubelles. D'un feu de joie, lumière dans la nuit, il ne reste que cendres froides. Non seulement vous interdisez l'espérance, mais même le rêve. Désenchanter la vie, c'est ouvrir la porte au désespoir et à la fuite dans n'importe quelle illusion en quête de sens. La consommation à outrance source de nuisances écologiques, certes, mais aussi l'étourdissement dans la dépression et ses corollaires que sont les drogues licites ou non, l'alcool, mais aussi les repères de substitution que sont des idéologies radicales pourvoyeuses de sens. Désenchanter la vie c'est la porte du suicide, du terrorisme, du fanatisme, de la dépravation tout aussi bien. S'il n'y a plus de repères pourquoi s'en faire ? Rien ne valant plus ou moins que rien, n'étant qu'un animal voué à changer en merde ce qu'il absorbe, tout devient possible et permis puisque dans le néant rien ne peut vous atteindre. On ne construit pas une société sur des décrets qui ne sont que papier noirci ignoré de ceux qui n'ont plus rien à perdre. Une collectivité est un ensemble d'acteurs sous-tendus par des idéaux constructifs enracinés dans des archétypes fondateurs.

 

 (1) 1 Corinthiens 15:14 par exemple