Avant de vous dire adieu

En ce temps là les petits chardonnerets venaient picorer sur ma fenêtre. Ils ont pris de l'assurance au fil des mois, avec les pinsons, les tourterelles, se sont enhardis au point de rentrer dans la maison. Mais je n'ai plus de photos. J'en avais fait très peu parce qu'avec l'argentique, il fallait économiser les clichés, et qu'aussi, ceux que j'avais fait je n'ai pas pu les sauver de mes déboires de ces dernières années. En ce temps là pas d'enfumeur en dessous, bien que j'habitais à l'étage, et personne pour me reprocher d'aimer les oiseaux. Que voulez vous ce n'était pas Niort.

J'étais bien jeune encore bien que j'avais déjà salement roulé ma bosse. Et en bonne santé, enfin acceptable disons :-) Le studio n'était pas grand mais il me suffisait. Je ne payais pas très cher bien que proche du centre, et il n'y avait pas de goutière au toit pourtant juste au dessus de ma tête. La ficelle qu'on aperçoit c'était pour ouvrir la trappe, comme ça je voyais les nuages ou la lune en direct sans sortir, j'entendais la nuit passer les vols d'oies et de grues, c'était sympa. Juste quelques livres derrière moi : la bibliothèque était gratuite pour tous, je n'avais pas besoin d'avoir de livres... Ils achetaient ce qu'on demandait. Dehors il n'y avait personne pour me reprocher mon allure bien que j'étais couvert sur mon boléro de badges écolos, voire parfois plus provo. Pas comme maintenant à Niort où il ne se passe pas une journée sans qu'un connard s'en prenne à ma canne, mon chapeau ou mon beret. A Vierzon y'avait pas de canettes à trainer dans les rues ; à Niort pour être bien vu faut se trainer avec une canette ou se vautrer dans les troquets, faut laisser sa canette n'importe où. Personne ne fait de remarque à un ivrogne, et s'il fait la mangave on lui donne du fric. Une canne et un chapeau c'est anormal, une canette est un gage d'intégration. Il est vrai aussi que le racisme était moins prégnant n'en déplaise à tous ceux qui ne veulent pas voir que Niort est une ville raciste, y compris dans la discrimination sociale, peut-être même est-ce là qu'elle le manifeste le plus : faut être dans le moule. Mais Vierzon a dû bien changer. J'en veux pour preuve qu'à la mairie tout le monde a oublié l'AVATI et le père Félix qui s'en occupait et dont j'étais assez proche... Le moteur de l'intégration multiculturelle dont j'ai fété les 25 balais ; c'est même moi qui ai fait la vaisselle du repas d'anniverssaire, quelques centaines de convives, en compagnie d'un catho et d'une trotskyste ; passé aux oubliettes. C'est tout de même révélateur non ?

Voilà, c'était là. Au fond de cette cour qui s'ouvre devant vous. Ca n'a pas changé ou si peu. Les magasins sont toujours là mais à vendre ou à louer je ne sais pas, le toubib exerce encore (j'ai vérifié). Pour l'annecdote, c'était là, à l'emplacement de la voiture rouge mais mieux garé ; là bas aussi on se gare comme des merdes maintenant ; que j'avais arrêté la R5 et décidé que j'allais voir si cette ville voulait m'accueillir, j'avais pris une chambre à l'hôtel à coté et le lendemain, alors même que l'hôtelier ne savait pas qu'il y avait une turne à louer, c'était géré par agence, je m'installais dans la cour :-)

Là on voit l'avant de la voiture rouge et l'hôtel... Le pont aussi, que j'ai vu peindre à la fin, parce qu'il était tout gris. A gauche près du pont il y a une passerelle piétonne qui permet de rejoindre la gare. De là j'observais les martinets en rentrant le soir :-) Le pont je le traversais pour aller en forêt. Une belle forêt avec des oiseaux en quantité et des cerfs. J'allais écouter le brame, la nuit. C'était sympa.

"Ma" rue dans l'autre sens... La pharmacie est devenue magasin de matériel médical et ambulancier juste à coté, la boite intérim a changé de trottoir et d'enseigne :-) Ses anciens locaux sont devenus un organisme de formation. L'arrêt de bus s'est déplacé de quelques mètres me semble-t-il. C'était le temps où y'avait pas de téléphone portable, je n'avais même pas de téléphone en ligne. L'agent de la boite intérim était venue frapper chez moi me proposer ma première mission, en me confondant avec un autre inscrit depuis bien plus longtemps :-)

Un dernier regard sur le pont qui fait la fierté de Vierzon et les fleurs. Nul ne me rendra la santé de ce temps là (quoique j'ai déjà eu des ennuis sérieux : bloqué trois semaines au lit sans pouvoir bouger ni bras ni jambes ; c'était la première alerte... La seconde du genre eut lieu 15 ans après), non plus que l'atmosphère, l'état d'esprit ou le rapport à la vie. Personne. Ma dernière bagnole va partir à la casse dans quelques jours. Pas les moyens de réparer. Je viderai le garage et le rendrai. Après, après je penserai à disparaitre. Hier j'ai été pris à partie pour ma canne... Par des jeunots qui zonaient en fumant des tarpés plutôt que d'être à l'école. Tout le monde trouve ça normal. J'avais aussi été entrepris par un type sensiblement bourré. Aujourd'hui j'ai été pris à partie par deux beaufs ordinaires. Y'en a même un qui a eu le front de me demander si j'étais français !!! J'en ai marre. Malade incurable, je ne veux pas retrourner à l'hosto d'ici. Alors, alors heureusement que j'ai quelques belles années derrière moi. Je voulais en donner un aperçu avant de vous dire adieu. Bientôt, très bientôt. Le dernier jour du mois c'est mon anniversaire, je vais me faire un cadeau... La tranquillité. M'asseoir et ne plus bouger. Je ne souscris pas à ce délire moderne de rebondir : je ne suis pas une balle ! Ca fait trop longtemps qu'on me prends pour une balle. De toute façon, au bout y'a pas de continuité possible sur Terre dans mon état matériel et de santé. Je vais m'asseoir et vous dire adieu, ça viendra plus vite que vous ne pensez.